CHAPITRE XVI
Montoya décrocha le combiné d'une main légèrement tremblante.
Maurice Valour avait suspendu son geste et demeurait immobile, la main qui supportait une cigarette à demi consumée arrêtée à la hauteur de son cou, à mi-chemin entre l'accoudoir du fauteuil et ses lèvres.
Il épiait les réactions de Montoya sur les traits de celui-ci, tenté de saisir l'écouteur, et n'osant pas... Non pour des raisons de bienséance. Montoya était un copain... De l'appréhension... Lou Montoya reposa le combiné sur sa fourche...
Il soupira, eut un sourire fugace en voyant la mine tendue de Valour.
Une autre énigme, murmura-t41 enfin...
Maurice Valour eut un geste d'humeur. Ils les collectionnaient! Ils accumulaient les mystères, amoncelaient les questions, attendaient des réponses et une solution !... Au lieu de cela.
... La voiture de jef Parker a été retrouvée sur le bas-côté d'une petite route, au sud de Miami, abandonnée...
—Au sud de Miami, souffla Valour.
—Oui. Très près de ce terrain d'aviation...
Aucun trace d'eux, évidemment ! C'est une patrouille de la police routière qui a prévenu.
Le véhicule ne présente rien de spécial, mais il est mal garé et gêne la circulation car la route est assez étroite, parait-il, à cet endroit...
Le moteur était encore chaud, et les clés étaient sur le contact... Alentour, personne...
—Les voisins ?...
—Ils n'ont rien vu, rien remarqué d'anormal...
Maurice Valour écrasa brusquement le mégot de sa cigarette dans le cendrier de cristal plein de cendres et de bouts-filtres.
Un système de portes, ou de vannes, qui s'ouvraient et se refermaient automatiquement sur leur passage, puis ils se retrouvèrent dans les ténèbres. Il leur fallut quelques secondes pour comprendre qu'ils se trouvaient dans l'eau, à une profondeur telle que l'obscurité la plus complète régnait autour d'eux.
1145 , Peu à peu pourtant, ils commencèrent à distinguer vaguement l'intérieur de l'habitacle.
Très simple : les sièges où ils avaient pris place, et devant quelques leviers. Born se demanda I, s'il s'agissait d'un phénomène d'accoutilmance, réfuta aussitôt cette idée : c'était imposwsible. Leurs yeux pouvàient s'habituer à une pénombre, mais non parvenir à voir quand il I n'existait aucune lueur... D'ailleurs, la lumière s'intensifiait, et ils distinguaient maintenant le léger 'mouvement de l'eau déplacée autour de la bulle par leur progression... Bientôt, ils purent même apercevoir quelques roches, et deviner le fond de l'océan, à quelques mètres Il seulement au-dessous d'eux.
— Curieux... murmura Born, soupçon' nant déjà quelque mystère dont il n'avait évidemment aucune idée.
— Nous tirons notre énergie de la pression naturelle qui s'exerce sur les parois de ce >véhicule, expliqua leur interprète comme s'il ' s'agissait de la chose la plus courante du monde... Il faut évidemment quelques secondes pour que les génératrices atteignent leur plein rendement...
le En effet, l'intensité lumineuse dans l'habitacle et autour de l'énorme bulle s'était encore accrue pendant qu'il parlait.
Ob — Nous n'allons d'ailleurs pas loin, ajouta l'inconnu.
lee 111 Parker ouvrit la bouche, et la referma...
Une fois encore, il avait été sur le point de céder à la tentation, de formuler au moins quelques-unes des questions multiples que Born et lui-même se posaient. Il avait eu un certain mal à y renoncer.
Mais, pensa-t-il, l'attitude qu'ils avaient adoptée dès le premier instant sans même se concerter, mis à part quelques coups d'oeil échangés furtivement, était sans doute la meilleure. Sans bien comprendre, ils avaient déjà pu constater beaucoup de choses. Ce qui leur échappait appartenait surtout au domaine des sciences, de la technique, •et ils pouvaient se passer d'explications probablement complexes, ardues. Le reste, ce qu'ils ignoraient encore, viendrait peu à peu, et il y avait gros à parier que leurs ravisseurs eux-mêmes s'empresseraient de leur fournir de nombreux détails... Rien de te! que le mutisme, ou le manque apparent d'intérêt de quelqu'un pour forcer l'adversaire à se dévoiler, à révéler jusqu'à ses secrets les plus chers !
Il se contenta de hocher la tête, comme s'il savait pertinemment que le trajet qu'ils devaient parcourir à bord de ce curieux sousmarin était court. L'inconnu sembla marquer quelque surprise, puis se retourna vers ses comparses, échangea avec eux quelques mots dans ce langage incompréhensible, et se réfugia lui aussi dans une indifférence feinte, en négligeant même de faire le moindre commentaire lorsque Valéry Born observa : Le hangar d'arrivée est naturellement situé à quelque distance des installations principales pour des raisons de sécurité. C'est le « diviser pour régner » appliqué à l'architecture ! Je suppose que tout ce qui constitue un point vital pour l'ensemble de l'installation est ainsi disséminé sur une certaine surface...
Un grognement inintelligible de la part de Parker, et déjà leur attention était attirée, devant eux, par ce qui ressemblait à un groupe de rochers qui formaient un petit massif... Des contreforts, qui précédaient des roches plus grosses et hautes, qu'on avait utilisées comme des piliers et des poutres naturelles dans la construction d'une bâtisse cubique, très grande, dont les parois extérieures étaient totalement recouvertes d'une végétation blanchâtre qui évoquait à la fois les lichens et les algues marines.
A la base de l'édifice, une cavité, large, sombre, qui faisait songer à l'entrée d'une grotte. Leur véhicule s'y engagea quelques instants plus tard.
Une galerie assez courte, puis ils débouchèrent au fond d'une sorte de bassin, et se mirent à monter rapidement. Une ascension verticale; quelques secondes encore ; l'eau devenait plus claire autour d'eux, de plus en plus, rendant inutile l'éclairage de l'engin. Ils crevèrent enfin la surface. Leur pilote dirigea l'appareil vers une rampe sur laquelle il s'engagea. Ils parcoururent quelques mètres sur la terre ferme, comme ils s'étaient déplacés précédemment dans le hangar, puis s'immobilisèrent.
Ils se trouvaient dans une vaste salle voûtée, presque entièrement occupée par l'immense bassin d'où ils venaient d'émerger. Plusieurs rampes identiques à celle qu'ils avaient empruntée, séparées par des digues de pierre et de maçonnerie, évoquaient fortement une installation portuaire, assez sommaire malgré tout. Quelques bulles semblables à leur appareil flottaient en se balançant mollement sur l'eau, entre ces jetées ou devant les rampes...
— Venez...
Ils s'arrachèrent à leur surprise et à leur contemplation, emboîtèrent le pas aux quatre inconnus.
Une porte ; une cabine celle d'un ascenseur. Il était évident qu'ils allaient gagner les étages supérieurs de l'édifice cubique qu'ils avaient vu en arrivant, avant de s'engager dans le tunnel d'accès.
Arrêt. Une autre porte. Ils se retrouvèrent dans un couloir assez large et très long. De part et d'autre, de nouvelles portes. Cela faisait penser à un corridor d'hôtel ou d'hôpital ; ou au couloir de l'une de ces administrations dont les innombrables bureaux occupaient des immeubles entiers.
Là, celui qui leur avait jusqu'ici adressé la parole eut un geste à l'adresse de ses compagnons. Ceux-ci se raidirent imperceptiblement, comme s'ils exécutaient une sorte de salut, avant de tourner les talons pour entrer de nouveau dans la cabine.
—On renvoit les cerbères ! remarqua Born, ironique. On ne nous garde plus à vue ?
L'autre eut un mince sourire.
—Ce n'est qu'une impression, répondit-il.
—Je m'en doute !...
D'ailleurs, j'avoue que je ne vois pas comment vous pourriez vous..., nous quitter...
Il avait été sur le point de dire : « vous évader », et s'était repris à la dernière seconde.
Peut-être pour atténuer le mauvais effet de ses paroles, il ajouta Vous n'êtes que des captifs temporaires, rassurez-vous ! Le temps d'une vérification, et nous vous remettrons en liberté si sants.
Il parut hésiter, sembla vouloir en dire plus long, et déclara finalement, simplement : —Suivez-moi...
Born et Parker s'engagèrent derrière lui dans le corridor, jusqu'à l'une des nombreuses portes que l'inconnu poussa pour leur livrer passage.